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Author: Island Boutik
Célèbre compositeur-ségatier, Serge Lebrasse a été honoré jeudi dernier au Centre social Marie-Reine-de-la-Paix, lors du lancement de sa biographie intitulée Serge Lebrasse, figure de proue de notre séga de Jean-Claude Antoine.
A défaut d’être populaire, Serge Lebrasse a droit aux honneurs bibliographiques. Jeudi après-midi, a eu lieu, au Centre social Marie-Reine-de-La-Paix, la présentation officielle d’une biographie du célèbre compositeur-ségatier, connu et vénéré par tout Mauricien digne de ce nom. Le journaliste Jean-Claude Antoine se charge de la rédaction de cette biographie, haute en couleurs, mais aussi en sonorités musicales, en anecdotes révélatrices et instructives.
Il répond en cela à une louable initiative de M. Ahmad Sulliman, directeur des Editions Le Printemps, et digne successeur de M. Thomy Esclapon au poste, malheureusement pas assez disputé de Premier Mécène des Auteurs mauriciens. Il crée tout juste une nouvelle collection (rare denrée intellectuelle et littéraire dans un pays-désert culturel où toute publication locale se condamne au départ à végéter, face au dumping des Harry Potter et autres Da Vinci Code). Il la surnomme, à juste titre, Figures de proue. Tout un programme. Une ambition des plus nobles.
Dans sa sagesse, Ahmad Sulliman, dont les plus grands parmi nos dirigeants, à commencer par Anerood Jugnauth, Cassam Uteem, Henri Souchon et Jocelyn Grégoire, s’honorent de son amitié et de sa bienveillance, choisit de consacrer à Serge Lebrasse le premier numéro de cette nouvelle collection, tout en caressant l’espoir que Mamade Elahee en sera le deuxième.
Choix perspicace car nous ne finissons pas, jour après jour, de découvrir de nouvelles vertus à l’inégalable vie et carrière du pourtant modeste Serge Lebrasse (Il n’arrive toujours pas à avoir la grosse tête mais essaye quand même de passer inaperçu bien qu’il sache cela impossible, remarquera à juste titre, jeudi, en son centre social, le Père Henri Souchon).
Pour ne pas avoir à répéter le riche contenu de cette bibliographie, dont la présentation officielle coïncide avec la célébration des noces d’or du couple Serge Lebrasse-Gisèle Laverdure, sœur d’un célèbre goal-keeper de la Fire Brigade et d’équipes de football réunionnaises, il nous suffit de comparer la vie à Maurice, au début de la carrière de Serge Lebrasse et notre vie aujourd’hui en 2007, et constater le rôle prééminent joué par celui à qui d’aucuns et non des moindres décernent, à bon escient, le titre de roi du séga.
Serge Lebrasse, né en 1930, comme Anerood Jugnauth, Gaëtan Duval, Amédée Nagapen et Edouard Maunick, connaît une enfance difficile en raison de la mort prématurée, alors qu’il n’a que huit ans, de son père, comptable. Des problèmes médicaux (un souffle au cœur et puis une épidémie de poliomyélite) l’empêchent de faire ses études secondaires au collège Royal de Curepipe, juste consécration pourtant de ses brillantes études primaires à la célèbre école Saint-Enfant-Jésus.
Un chanteur de charme
Le petit Serge multiplie les petits boulots à la sauvette (dont la pêche aux chevrettes dans les rivières) pour aider sa mère (devenue, par force, couturière) à faire bouillir la marmite familiale. Il perd même un doigt dans un engrenage de la défunte usine à sacs de Quatre-Bornes. Les restrictions alimentaires de la Seconde Guerre mondiale n’arrangent en rien cette situation familiale. Serge, que la malaria menace, est expédié au Quartier-Militaire, localité jugée plus salubre. Il y devient assistant garde forestier et y découvre Alphonse Ravaton, dit Ti-Frère, et son séga typique.
Cette découverte marquera le reste de son existence, carrière comprise, d’une empreinte indélébile à laquelle tous con-viennent. Quartier-Militaire et ses gardes forestiers révèlent aussi son courage et le sens aigu de sa dignité créole. Lassé de brimades hiérarchiques imméritées, il démissionne avec fracas et s’engage dans l’armée sans prendre même la peine de prévenir sa mère.
Tout Moi mo ène Ti-créole et Maman zordi mo allé… oui mo quitte toi mo allé se trouvent dans ce coup de tête. L’armée fera aussi de Serge Lebrasse un anglophone, un footballeur talentueux et un chanteur de charme. Des talents mis en exergue par une société militaire, ne connaissant, heureusement pas, nos préjugés raciaux et culturels de l’ère coloniale.
Trop jeune, à l’époque de son retour de l’armée, pour entrer dans la fonction publique, il trouve grâce aux yeux des recruteurs du Training College (école de formation de nos futurs instituteurs) où sa maîtrise de l’anglais, acquise à l’armée, séduit. Ses talents d’animateurs et ses qualités de chanteur ne tardent pas à le désigner comme le titulaire idéal pour un poste nouvellement créé, pour initier l’enfant mauricien à la musique et au chant.
Partagé entre sa passion pour le football et le chant, Serge Lebrasse n’oublie pas pour autant le séga appris auprès de Ti-Frère, mais affiné au contact d’un maestro, Philippe Ohsan, le chef d’orchestre de la police. Serge Lebrasse sort graduellement, mais timidement notre séga de la clandestinité dans laquelle il croupit toujours, depuis le temps margoze de l’esclavage.
Ses nouvelles affinités pour ce séga, alors honni, lui valent son expulsion des équipes de football où il a pourtant sa place. A l’époque, on ne peut être, à la fois, footballeur et ségatier. Mais rien ne peut arrêter la mission sacrée, à laquelle il se consacre, celle de donner à notre séga ses lettres de noblesse, sa reconnaissance nationale et même internationale. Ce sera chose faite avec Madame Ezène devenant, sinon un hymne national, du moins le chant de ralliement de tous les Mauriciens, à l’aube des années 1960. « Tu fredonnes Madame Ezène, donc tu es créolophone, donc tu es créole, donc tu es Mauricien ! »
La suite on la connaît. Laissons à d’autres rubriques le soin de comparer la situation économique de l’époque de Madame Ezène à celle d’aujourd’hui (voir à ce sujet l’éditorial de Jean-Claude de l’Estrac dans le numéro spécial de fin d’année de l’express). Pour le séga, le but est plus qu’atteint. Pourrait bien se faire lyncher qui s’aviserait, aujourd’hui, de répéter, à un jeune de 2007, le conseil que Serge reçoit ad nauseam de ses collègues-instituteurs dans les années 1950 : Laisse le séga aux tcholos !
Le porte-drapeau de notre fraternité
C’est donc toute cette sortie de la clandestinité de notre séga par Serge Lebrasse, pour en faire le porte-drapeau le plus consensuel de notre fraternité multiraciale mauricienne, que raconte, avec sa virtuosité habituelle, Jean-Claude Antoine. Sa biographie fourmille d’autres anecdotes tout autant révélatrices et qui justifient amplement ce titre de roi du séga, donné à notre Serge National, et sa place, la première, dans cette galerie de nos Figures de proue, voulue par cet autre visionnaire qu’est Ahmad Sulliman des Editions Le Printemps.
Nul, mieux que Serge Lebrasse, peut prétendre être l’hirondelle de ce printemps, annonçant la mise en exergue de nos Mauriciens les plus méritants. Ce rossignol est le François Villon de la poésie mauricienne.
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